PRIX WEPLER - FONDATION LA POSTE 2015

la selection

  • Pierre Cendors, Archives du vent, Le Tripode

  • Lise Charles, Comme Ulysse, P.O.L

  • Antoine Choplin, Une forêt d’arbres creux, La Fosse aux ours

  • Sophie Divry, Quand le diable sortit de la salle de bain, Noir sur blanc/Notabilia

  • Mary Dorsan, Le présent infini s’arrête, P.O.L

  • Michaël Ferrier, Mémoires d’outre-mer, Gallimard

  • Pascal Herlem, La sœur, L’arbalète/Gallimard

  • Jean-François Kervéan, Animarex, Robert Laffont

  • Douna Loup, L’oragé, Mercure de France

  • Mathieu Riboulet, Entre les deux il n’y a rien, Verdier

  • Pierre Senges, Achab (séquelles), Verticales

  • Benoît Vincent, Farigoule Bastard, Le Nouvel Attila

le jury

  • Caroline Broué, journaliste (France Culture)

  • Benoît Buquet, historien et critique d’art

  • Mélanie Fleury, lectrice – détenue au Centre pénitentiaire de Rennes

  • Christophe Gilquin, libraire à la Librairie l’Atelier (Paris, 20e)

  • Laurent Le Boterve, lecteur (La Poste)

  • Frédérique Roussel, journaliste (Libération)

  • Blanche Sarfati, lectrice

  • Maren Sell, lectrice et auteure

  • Marie-Catherine Vacher, lectrice

  • Marie-Rose Guarniéri, fondatrice du Prix Wepler-Fondation La Poste

  • Élisabeth Sanchez, secrétaire générale du Prix Wepler-Fondation La Poste

LE LAURÉAT

Pierre Senges - Achab (séquelles), éditions Verticales

LA MENTION SPÉCIALE

Lise Charles - Comme Ulysse, éditions P.O.L.

Les Discours

Marie-Rose Guarnieri

Bonsoir à tous et à toutes !
C’est avec la conviction et la fièvre du premier jour, que nous vous recevons avec Michel Bessières et la Fondation de la Poste pour offrir encore ce Prix littéraire âgé de dix-huit ans.
Ce soir, c’est accompagnés par les cinquante écrivains déjà primés que nous accueillons nos deux nouveaux lauréats.

Tous, ils nous somment d’être présents et de continuer inlassablement notre dépistage d’auteurs majeurs.

Ces écrivains, nous les soutenons avec une seule exigence : que leur travail sans limites de fugitifs ne disparaisse pas du marché du livre et soit couronné par d’autres paradigmes et d’autres personnes….

J’en profite donc pour remercier du fond du coeur mon jury si généreux et hétérogène, je voudrais que vous les applaudissiez ces grands lecteurs désintéressés, pour leur pugnacité rigoureuse. Grâce à eux, nous avons pu concocter cette liste aux 12 titres envoûtants…

Je prends encore quelques secondes de votre attention pour remercier le noyau dur de mon équipe, toujours embarquée à mes côtés et infatigable….Florence Robert, mon éditrice, Damien Laval, mon attaché de presse, mes deux libraires, Olivia Goudard et Pauline Pierre.

Je salue également l’endurance visionnaire de mes deux partenaires, ces deux exceptionnels porte-avions que sont  La Fondation la Poste avec Dominique Blanchecotte, Marylin Girodias, Patricia Huby mais aussi notre formidable Michel Bessières, roi de la brasserie Wepler et son équipe de chevaliers serveurs.

Depuis le début, Ils n’ont jamais économisé leurs gestes afin que ce Prix essaime, mature, et récolte chaque automne une moisson d’écrivains audacieux, inattendus, novateurs. UN GRAND MERCI, je vous en suis très reconnaissante !

Ce soir, nous fêtons douze écrivains dont l’avenir nous préoccupe dès aujourd’hui.

Nous n’en distinguerons bien sûr, que deux, exercice oblige et c’est un crève-coeur, mais je voudrais honorer encore ces douze-là et la virtuosité de leur prose qui a enchanté notre rentrée. Qu’ils le sachent, eux et eux seuls, nous donnent le désir de poursuivre cette folle aventure du Wepler…

Consacrons tous ensemble les deux lauréats du prix Wepler - Fondation la poste 2015 et gageons que que nous aurons contribué à leur émergence et à leur inscription dans l’histoire littéraire.

Levons nos verres pour fêter leur victoire !!!!

pierre senges

Après des années passées à sautiller sur une fausse jambe, le capitaine Achab est particulièrement heureux de voir ce prix attribué à un livre racontant ses mésaventures : non seulement le prix suscite des réactions d’amitié qui finiront par entamer sa misanthropie, aussi fausse que sa jambe, mais il semble justifier des années de travail, de même que le plaisir d’un invité justifie des heures passées en cuisine. Je suis bien conscient, surtout, que décerner un prix à un livre désigné parmi des centaines d’autres oblige le livre et son auteur à certaines responsabilités. Un prix digne de ce nom n’est jamais un dû ; on le sait quand on ne l’obtient pas, on doit le savoir quand on l’obtient ; idéalement, il faut commencer à le mériter à partir du moment où on l’a reçu.

J’ai pu constater aujourd’hui encore à quel point le prix Wepler est prestigieux – je me suis demandé si ce qui fonde son prestige, ou le prestige en général, est d’avoir un passé prestigieux – ce qui soulève la question de savoir s’il faut avoir été prestigieux pour continuer de l’être. À première vue, continuer d’être ce que l’on a été est une sorte de tautologie étalée dans le temps ; cependant, d’après René Descartes, le temps est ce qui permet à une chose de se distinguer d’elle-même, d’où l’on déduit que tout cela est plus compliqué qu’on ne pense. Pour essayer de démêler ces questions troublantes, je me suis penché sur les origines et les antécédents du prix Wepler. À l’issue d’une première recherche, j’ai pu établir la chronologie suivante :

1914 : Le prix Aepler, du nom de Friedrich Aepler, ingénieur et mécène, est attribué à Paul Valéry pour Le Retour de Monsieur Teste – la remise du prix, prévue en novembre, est annulée pour cause de mobilisation générale.

1915 : Le prix Bepler est décerné à Paul Claudel – mais comme il se trouve quelque part en Chine, Claudel ne peut pas se déplacer pour le recevoir.

En 1916 et en 1917, les prix Cepler et Depler passent inaperçus.

En novembre 1918, le prix Fepler est décerné Apollinaire, en même temps que son avis de décès.

Il faut attendre les années 1930 pour que soient attribués les prix Gepler (1931) et Hepler (1932), l’un et l’autre à Colette, peut-être par manque d’imagination.

En 1937, des facétieux, peut-être anciens dadaïstes, attribuent le prix Jepler à l’Annuaire téléphonique de l’année 1937, au prétexte qu’il contient davantage de personnages que toute la Comédie Humaine, et moins de descriptions (ce qui est un peu facile et pas tout à fait exact).

En 1938, le prix Kepler est accordé, en toute logique, à un astrophysicien pour des travaux portant sur la prise en compte de la fatigue dans le calcul de la courbure de l’espace-temps.

En 1939 le prix Lepler n’est pas attribué.

En 1940, le prix Mepler n’est pas attribué.

En 1945, le prix Népler est attribué par erreur à Martin Heidegger pour sa correspondance.

En 1952, le livre Au bon beurre de Jean Dutourd remporte le prix Pépler – ce qui permet au Canard Enchaîné de le surnommer le prix Pépère.

En 1966, le prix Quépler est attribué par glissement phonétique à un autre astrophysicien, incitant la Société des Gens de Lettres à sortir cette fois de sa réserve et faire paraître une lettre de protestation (sur le thème : les prix littéraires doivent être réservés aux œuvres de littérature).

En 1968, le prix Répler est attribué à Herbert Marcuse “pour l’ensemble de son œuvre – sauf Hegels Ontologie und die Theorie der Geschichtlichkeit”.

En 1976, le prix Sépler est attribué à Françoise Sagan qui le refuse ; du coup, on le donne à Marguerite Duras, qui ne l’avait pas demandé.

En 1984, deux jurys concurrents attribuent chacun un prix Tépler : le premier à Pierre Guyotat pour son livre intitulé Le Livre ; le deuxième à nouveau à François Sagan qui, cette fois, ne peut pas refuser, pour des raisons de politesse.

En 1990, le prix Uepler est attribué par les membres de l’Oulipo à un auteur dont le nom contient toutes les lettres du mot Uepler et aucune autre – à savoir un certain Erpule Lepueur, pour un recueil de poèmes.

En 1997, le prix Vepler n’est pas attribué en raison d’une polémique obscure avec les membres des jurys Goncourt, Médicis, Femina, Renaudot, Interallié, Deux Magots, Flore, Novembre, Décembre, etc.

Enfin, en 1998, est créé le Prix Wepler, attribué successivement à Florence Delaporte, Antoine Volodine, Laurent Mauvigner, Yves Pagès, Marcel Moreau, Éric Chevillard, François Bon, Richard Morgiève, Pavel Hak, Oliva Rosenthal, Emanuelle Pagano, Lyonel Trouillot, Linda Lê, Eric Laurrent, Leslie Kaplan, Marcel Cohen et Jean-Hubert Gailliot.

Conscient de cette lignée prestigieuse et de cette histoire chaotique faite d’enthousiasmes et d’interrogations, tel Blaise Pascal face à l’infini des… à l’espace effrayant et…

Enfin bref.

C’est avec un sentiment de reconnaissance et un signe de sympathie à l’adresse de celui que j’aurais été si je n’avais pas reçu le prix, que je l’accepte (le prix) – et le chèque qui l’accompagne.

lise charles

Je suis impressionnée de parler devant vous, heureuse et émue de recevoir cette mention. Je remercie la Fondation la Poste, la brasserie Wepler, et tous les membres du jury – particulièrement Marie-Rose Guarnieri, dont l’enthousiasme me fait chaud au cœur. Je leur suis très reconnaissante. C’est un encouragement extrêmement précieux pour moi et j’y suis d’autant plus sensible que la manière dont ce prix et sa mention se définissent me touche particulièrement, au point que je ne suis pas sûre d’en être vraiment digne.

Je remercie aussi Paul Otchakovsky-Laurens, dont tout le monde sait qu’il est un éditeur et une personne exceptionnels, et Jean-Paul Hirsch, dont le soutien et l’engagement comptent beaucoup pour moi, qui me donne souvent des conseils avisés, et notamment, si j’ai bien compris, celui d’être un peu moins sérieuse. Il m’est arrivé de me demander pourquoi il me donnait ce conseil, alors que j’ai écrit un livre qui est tout sauf sérieux, où la narratrice est une fille immature qui passe son temps à faire des blagues et refuse de s’attarder sur les choses, qui ne traite pas de politique, qui n’évoque pas les sujets graves dont parlent les grandes personnes, où l’on n’arrive pas à compter les années tant la chronologie est brouillée, où la géographie est mouvante au point que la côte Est des États-Unis en vient à se confondre avec le Finistère. Et pourtant, au fond, je pense qu’il est vrai que je suis sérieuse, je pense qu’il y a de la gravité dans ce livre, que je suis toujours sérieuse quand je parle de littérature, parce que, même si c’est un cliché de le dire, la seule chose sérieuse pour moi, c’est justement la littérature.

ENTRETIEN DE PIERRE SENGES AVEC LOUISE DE CRISNAY

Achab (séquelles) se présente comme une suite au Moby Dick de Melville et revisite au passage des pans entiers de la littérature, du cinéma ou de la comédie musicale. À vous lire, c’est comme si le fait qu’un écrivain marche toujours plus ou moins dans les pas des autres perdait enfin de sa gravité…

Le physicien et mathématicien Paul Dirac disait que les équations sont plus intelligentes que nous. Une fois découvertes, elles fonctionnent de manière autonome. C’est un peu la même chose avec la littérature : elle est plus douée que nous. Heureusement, une grande partie de l’écriture est faite de hasards et elle nous est aussi donnée par les autres. Beaucoup d’écrivains ont l’honnêteté de rendre hommage aux anciens. Mais ils évoquent plus difficilement ce que leur propre style leur doit. Personnellement, ça ne me gêne pas car on sait très bien que, quand on lit et qu’on écrit beaucoup, au bout d’un moment et pas toujours consciemment, un mot, une figure de style, une bascule nous vient, non pas de l’intérieur, mais parce qu’en quelque sorte, on l’a acquis.

Depuis quand est-ce qu’Achab boîte à vos côtés ?

Longtemps ! Les premiers brouillons datent de 2008. J’ai commencé par vouloir raconter le dernier combat du capitaine, mais du point de vue de la baleine, en essayant de renverser la situation pour imaginer le combat lui-même sous un autre angle, mais aussi toute l’obsession du capitaine, en me demandant si Moby Dick se sentait aussi concernée par cette histoire de rancune, ou si elle s’en moquait complètement, si Achab était pour elle un bruit lointain ou bien un véritable enjeu. Au fur et à mesure, cette première piste en a amené d’autres : prolonger son existence, le faire revenir sur la terre ferme, le plonger dans l’oubli de la vie aquatique, etc. Petit à petit, cette suite est devenue une histoire de suites puisqu’en fin de compte, Achab se met à son tour à réinventer sans cesse sa propre histoire. Mais tous ces différents fils me sont apparus très lentement, ça a mis des années…

Ces derniers temps, beaucoup d’auteurs s’emparent de personnages mythiques et la réécriture est presque devenue un effet de mode. Pourtant, vous êtes bien un des rares à y insuffler une telle inventivité. Comment faites-vous pour éviter tous les écueils du genre ?

Raconter la vie du capitaine Achab, en soi, me paraît vain. Tout l’intérêt avec ce genre d’idée, c’est justement de pouvoir prendre le plus de distance possible, multiplier les variations, introduire d’autres personnages, énormément d’autres choses et d’étirer ainsi le fil jusqu’à la limite de la rupture.

J’ai lu quelque part que vous auriez préféré que Stendhal se casse une jambe le jour où lui est venue sa fameuse idée du miroir. Écrire à partir d’hypothèses saugrenues, c’est votre manière d’échapper à un certain réalisme ?

On me dit souvent que mes livres ne sont pas des histoires mais, à mes yeux, ce n’est que de la narration tout le temps. Par contre autant j’adore les récits bien construits, autant raconter une histoire comme Agatha Christie qui s’ennuyait en écrivant ses livres, ça m’est très douloureux. D’où l’idée de le faire, mais en rusant, en prenant sans cesse la tangente. C’est une manière un peu cubiste de voir les choses: jamais le même angle !

Une autre réjouissance de votre style, c’est qu’il pousse très loin l’art du commentaire…

Je ne pourrais pas écrire autrement, je m’ennuierais… Manganelli disait qu’un roman-fleuve, c’est une idée et quatre mètres cube d’air. Une fois qu’on les a enlevés, il reste l’idée, donc il en faut toujours d’autres pour avancer… ou alors on est dans le baroquisme extrême. En tout cas, j’ai toujours l’impression que la demi-mesure est très compliquée à tenir: soit on est dans la nouvelle à la Borges, où il n’y a pas un mot de trop, soit on prend un objet, comme chez Gadda ou Joyce, et c’est l’emphase absolue.

On vous présente souvent comme un grand encyclopédiste. Vous avez toujours été en bons termes avec le savoir et l’érudition ?

J’aime beaucoup l’encycloplédisme, d’autant plus que je m’y perds et qu’il y a d’immenses zones d’ombre, des blancs, des ignorances. Je veux les assumer et jouer avec ce plaisir-là qui est le plaisir de la curiosité plus que celui de l’érudition. C’est une façon d’apprendre des choses, les partager, m’en servir pour construire une histoire, nourrir un personnage, mais aussi de créer une tension vers quelque chose que moi-même je connais assez mal, mais que j’entrevois et qui m’intéresse énormément. Et puis si j’étais blindé de savoirs, je n’écrirais sans doute plus. Nous sommes des êtres humains qui travaillons aussi à partir de notre mémoire, d’approximations, d’auteurs qui se corrigent mutuellement, d’idées admises jusqu’en 1999 et réfutées en 2000. J’ai trouvé formidable d’apprendre que Gustave Flaubert n’avait jamais dit «Madame Bovary, c’est moi». Ça ne figure absolument nulle part ! Pourtant, on le trouve encore dans des études littéraires. C’est important d’accepter, car c’est ça qui est vraiment intéressant, de vivre dans un monde où, même s’il y a bien entendu des noyaux absolument durs, le vrai et le faux bougent tout le temps. On vit ce renversement en permanence. Comme notre époque m’affecte aussi beaucoup, j’ai souvent tendance à me réfugier dans le passé. Inventer une scène où Melville et Da Ponte discutent à une table de bistrot, même s’ils étaient tous les deux malheureux à leur façon, ça me fait énormément de bien !

Une grande partie du livre se déroule à Broadway puis Hollywood où Achab tente de vendre son histoire de baleine au plus offrant. Est-ce qu’y voir une critique des industries culturelles ne serait pas assez réducteur ?

Les livres de dénonciation, c’est insupportable et ça ne tient pas puisque ça n’a aucun intérêt dramaturgique. Dans Hollywood, il y a bien entendu des choses terriblement philistines, bêtes ou mercantiles, mais aussi des choses extrêmement touchantes. Surtout cette foi dans le récit. C’est quand même extraordinaire ce département où des gens étaient payés à lire des journaux toute la journée pour essayer d’en tirer des histoires. Cette espèce de conscience qu’un nouveau récit est nécessaire me touche énormément…

Quand on évoque votre oeuvre, on insiste beaucoup sur l’aspect formel si bien que le reste passe souvent plus inaperçu. Alors que ce livre en l’occurrence, c’est quand même surtout un précieux bréviaire de vie, truffé de leçons sur l’existence…

L’écriture, c’est une grosse machine qui m’amène, plus ou moins à mon corps défendant, à exprimer des choses que je n’aurais pas dites si tout cet arsenal dramaturgique n’était pas là. C’est parfois de l’ordre du très intime ou du très sentimental. On me dit souvent que je suis plutôt un cérébral alors qu’il y a dans ce livre des choses du fond du coeur. Par pudeur, elles sont glissées en passant. D’ailleurs, je n’en suis pas forcément conscient, c’est le livre qui me les apprend. Par exemple, je m’en suis rendu compte tardivement, mais c’est fou le nombre de personnages qui fuient. Cette idée du départ, de l’échappée, de la pseudonymie, de la transcendation de soi, des avatars, de la réinvention, ce sont des motifs qui reviennent tout le temps…

Et l’humour dans tout ça ?

J’ai vraiment du mal à faire la différence entre l’écriture proprement dite et l’écriture humoristique. Si la littérature n’a pas cette vertu de permettre de se détacher, porter des masques, des costumes, se fuir, retourner un objet pour voir ce qu’il y a derrière, si c’est frontal et transparent comme une loupe, ça ne sert à rien, c’est complètement mort. La langue elle-même est déjà tellement épaisse et tordue que la recherche d’une langue qui ne serait que transparence ne peut-être qu’un mensonge. Ceux qui y prétendent se mentent à eux-mêmes ou bien c’est une ambition complètement folle…

ENTRETIEN DE lise charles AVEC MARGUERITE BAUX

«Comme Ulysse » doit donner du fil à retordre aux libraires… Pas facile à présenter, et encore plus à résumer !

C’est vrai qu’il n’y a pas de mot clé… le premier titre, c’était « Modèles américains ». Il y a trois univers dans le livre : l’univers français, qui est celui du souvenir, l’américain où se passe l’intrigue, et puis l’univers du rêve. Dans les trois, reviennent les mêmes personnages (la mère, l’enfant, la relation frère-soeur etc), à chaque fois de manière un peu plus structurée. Pour moi, c’est une réflexion sur la création, qui oblige à simplifier, à figer le réel. C’est l’apprentissage du métier d’écrivain.

Avez-vous fait vous même les dessins ?

Oui, au début je n’osais pas. Finalement je suis contente de les avoir mis. Cela rappelle les livres pour enfants et puis traditionnellement, il y avait des gravures dans les livres, j’aime beaucoup ça. Cela correspond aussi à la psychologie de Lou : quand elle ne sait plus parler français, elle parle anglais, et quand elle ne sait plus parler ni l’un ni l’autre, elle dessine.

Pour Lou, vous avez inventé un style singulier….

Je ne cherchais pas imiter un langage oral, je voulais créer un langage à elle, avec un travail rythmique. Mon idée, c’était un personnage qui a oublié sa langue et dont la langue évolue à mesure qu’elle écrit. Un des derniers dessins, c’est la tour de Babel. Pour moi, oublier sa langue, c’est quelque chose de terrifiant !

La question de la crédibilité de Lou se pose presque à chaque page.

C’est fondamental de ne pas savoir si on peut se fier à elle, je trouva ça passionnant comme question. Quand je l’ai relu pour la 20e fois, elle m’insupportait, mais j’espère que pour une première lecture, ça passe ! Il y a partout des indices de ses mensonges, en même temps, l’histoire se tient je crois.

En 4e de couverture, vous ne vous présentez pas comme l’auteur, mais comme la destinataire du livre.

C’est un topos éculé, comme dans les romans du 18e siècle, je ne cherche pas du tout à faire quelque chose d’original, au contraire! Mais c’est un peu comique vu que elle, c’est moi.

C’est un roman très drôle, malgré sa fin terrible avec cette petite fille qui meurt.

C’est la fin de l’enfance. C’est un peu Lou qui meurt. Ca aussi, c’est lié à « Ada », j’avais été très touchée de la mort de sa petite soeur. C’est aussi comme dans « On ne badine pas avec l’amour », dans ces oeuvres dominées par un personnage narcissique, égoïste… à côté d’un personnage secondaire, qui est sacrifié. C’est un schéma d’intrigue classique même si je n’y pensais pas en le faisant…

Est-ce un livre pour adolescents ou bien pour ceux qui ont la nostalgie de l’adolescence ?

Je pense que c’est difficile à lire pour un adolescent, mais j’adorerais ! Le soir du Wepler, j’ai rencontré des lycéens qui avaient l’air intéressés. Il y en a une qui m’a dit « Madame, j’ai bien aimé, mais j’ai rien compris! » Je ne suis pas sûr que le thème de la nostalgie les touche. Cela dit, quand j’ai lu « Peter Pan » enfant, cela me faisait déjà pleurer de penser à mon enfance qui allait partir, alors même que j’étais encore un enfant.