PRIX WEPLER - FONDATION LA POSTE 2014

la selection

  • Thierry Beinstingel, Faux nègres, Éditions Fayard

  • Marie-Claire Blais, Aux jardins des acacias, Éditions du Seuil

  • Sophie Divry, La condition pavillonnaire, Éditions Noir sur Blanc/Notabilia

  • Élisabeth Filhol, Bois II, Éditions P.O.L

  • Jean-Hubert Gailliot, Le Soleil, Éditions de l’Olivier

  • Hedwige Jeanmart, Blanès, Éditions Gallimard

  • Luba Jurgenson, Au lieu du péril, Éditions Verdier

  • Mathias Menegoz, Karpathia, Éditions P.O.L

  • Fiston Mwanza Mujila, Tram 83, Éditions Métaillé

  • Sylvain Prudhomme, Les Grands, Éditions L’Arbalète/Gallimard

  • Éric Vuillard, Tristesse de la terre, une histoire de Buffalo Bill Cody, Éditions Actes Sud

  • Cécile Wajsbrot, Totale éclipse, Éditions Christian Bourgois

le jury

  • Caroline Broué, journaliste (France Culture)

  • Benoît Buquet, historien et critique d’art

  • Mélanie Fleury, lectrice – détenue au Centre pénitentiaire de Rennes

  • Christophe Gilquin, libraire à la Librairie l’Atelier (Paris, 20e)

  • Laurent Le Boterve, lecteur (La Poste)

  • Frédérique Roussel, journaliste (Libération)

  • Blanche Sarfati, lectrice

  • Maren Sell, lectrice et auteure

  • Marie-Catherine Vacher, lectrice

  • Marie-Rose Guarniéri, fondatrice du Prix Wepler-Fondation La Poste

  • Élisabeth Sanchez, secrétaire générale du Prix Wepler-Fondation La Poste

LE LAURÉAT

Jean-Hubert Gailliot - Le Soleil, Éditions de l’Olivier

LA MENTION SPÉCIALE

Sophie Divry - La condition pavillonnaire, éditions Noir sur Blanc/Notabilia

Les Discours

Marie-Rose Guarnieri

Chers amis, bonsoir !
A tous, bienvenue, et merci d’avoir encore l’enthousiasme, la curiosité et l’appétit de venir fêter les auteurs de notre sélection et nos deux lauréats. Nous sommes vraiment contents de vous retrouver. Certains, je les reconnais, sont les témoins de cette aventure depuis le début. Mais bienvenue aussi aux nouvelles têtes qui perpétuent le métier.
Le prix approche de sa majorité, car il a dix-sept ans.
Cet adolescent impétueux est soutenu par trois parents que je salue pour leur tempérament généreux, persévérant et sincère : la fondation la poste représentée ce soir par Mme Dominique Blanchecotte et son équipe. Elle veille à ce que nos lauréats poursuivent leur œuvre, soutenus par une dotation de 10 000 et 3000 euros, nette d’impôts ! Espérons qu’elle leur donnera un supplément de souffle afin de toujours écrire…
La brasserie Wepler, ensuite, son berceau, où chaque année se gravent et se pérennisent les noms des auteurs couronnés.
Son chef d’orchestre, Michel Bessière, je le salue, a su créer une alchimie entre son lieu et une vie littéraire buissonnière…
Et ma librairie des Abbesses, enfin, accompagnée dans son arrière-boutique bouillonnante de cinq très proches complices : Elizabeth Joël, Damien Laval, Olivia Goudard, Rémi Bénard et Florence Robert. Je les remercie infiniment pour leur intelligente affection, elle me réconforte si souvent.
Afin de préserver la fraîcheur de ces rentrées automnales, ma librairie se pourvoit chaque année d’un nouveau jury de lecteurs.
Je voudrais rendre hommage à l’exigence et à l’ardent travail de celui de 2014, qui, dans le ciel de septembre, a su détecter avec rigueur quelques astres littéraires plus rares ou plus lointains. Merci d’avoir agi et travaillé avec tant de sagacité…
Notre liste 2014 est à la fois lacunaire et foisonnante. Sachez que nous n’avons eu qu’un seul souci : ne pas uniformiser les auteurs sous la bannière d’un prix, mais les remettre au centre, car chacun d’eux est incomparable.
Ce soir, nous rendons un hommage particulier à deux écrivains, tout en prenant l’engagement devant vous de ne pas oublier les autres et de les défendre ailleurs et d’une autre manière.
Enivrons-nous, car ce prix n’est pas une consolation, il n’y en pas, continuons, c’est tout.
Aujourd’hui, nous sommes à l’ère du tu vends ou tu meurs.
Voilà pourquoi, je vous demande à tous, en sortant demain, de parler de ces écrivains et de les faire rayonner.
Que la fête commence !!!

jean-hubert Gailliot

Le désir de littérature ne peut pas disparaître. Ce qui disparaît, c’est le temps, long, très long, qui est parfois nécessaire à son élaboration et à sa réception. Le temps est l’oxygène de la création. Il ne peut être donné aux écrivains en quantité suffisante que par les bons éditeurs et les bons libraires.

Il y a dix-sept ans, en 1997, j’avais envoyé le manuscrit de mon premier roman, « La Vie magnétique », comme on envoie une bouteille à la mer. Un jour d’avril, Olivier Cohen m’avait appelé, à Auch, dans les Pyrénées, où je vis. Il aimait le livre et voulait le publier à la rentrée de septembre. « Pouvez-vous venir à Paris pour signer le contrat? – Oui, bien sûr. Quand? – Demain. » Cette conversation a changé ma vie.
Ni ce roman, ni les quatre qui ont suivi, n’ont été de grands succès. Et pourtant, les Editions de l’Olivier ont toujours désiré que j’écrive un autre livre, et encore un autre. Depuis le début de l’écriture du « Soleil », il y a huit ans, tous les ans Olivier Cohen et Laurence Renouf m’appelaient pour savoir où j’en étais, si j’aurais bientôt fini, et chaque année je réclamais un an de plus. Ils m’ont offert ce temps dont le roman et moi avions besoin. Et même davantage, comme vous allez le voir.

Le manuscrit du « Soleil » comportait, en son centre, une tranche de 80 pages écrites sur du papier rose. J’ai été stupéfait que mes éditeurs aient le désir de conserver ces pages roses dans le livre imprimé, malgré la complication technique, malgré le coût, malgré le risque de rendre le roman légèrement monstrueux.

On sait qu’il n’y a rien de mieux qu’un beau prix littéraire pour permettre à un livre de voyager longtemps, et aider les libraires à lui apporter des lecteurs. Je ne m’attendais pas à recevoir le prix Wepler – Fondation La Poste. La liste me semblait, cette année comme les années précédentes, bien trop impressionnante. Mais j’étais heureux de figurer dans la sélection, comme cela avait déjà été le cas il y a huit ans, pour « Bambi
Frankenstein », et il y a dix ans, pour « L’Hacienda ».
Bien que ce ne soit pas l’usage, je voudrais remercier non seulement le jury du Wepler 2014 d’avoir bien voulu honorer aujourd’hui « Le Soleil », mais aussi le jury du Wepler 2004, et celui du Wepler 2006, de ne pas l’avoir fait à l’époque.
C’est la première fois que j’aime un de mes livres sans réserve. Il faut que je sois plus précis: c’est la première fois que j’ai été dominé et submergé par ce que j’étais en train d’écrire. Je ne sais plus du tout comment cela a été possible et je serais incapable de le refaire. mais l’expérience, pour moi, a été inoubliable.
Je voudrais ajouter un dernier mot. 2014 est un millésime étonnant. J’admire Patrick Modiano, j’admire Lydie Salvayre, j’admire Antoine Volodine, qui viennent tous trois de recevoir de très grands prix. C’est une chance et un honneur que de pouvoir figurer à leurs côtés cette année, dans un petit coin du tableau.

sophie divry

Chaque écrivain a des démons qui lui rendent visite tous les jours ou irrégulièrement. Jacques Roubaud énumère les siens dans La Dissolution. Le poète a le démon de la digression et de la parenthèse, le démon de la procrastination, le démon du renoncement, le démon des plans.
Nous avons aussi le démon de l’originalité absolue, qui trompe souvent les artistes, le démon du doute, le démon de la culpabilité d’écrire, le démon de la cohérence ; ce ne sont pas tous des démons malfaisants.
Il existe tout de même le démon du narcissisme, le démon de la mode facile, le démon du délayage, mais nous ne croisons pas ceux-ci au Wepler.
Personnellement je connais bien le démon de la description, souvent allié au démon de l’avant-garde ; ainsi que le démon de la politique parce qu’il n’aura pas échappé au jury la dimension politique de mon roman La Condition Pavillonnaire. Comme tout lettré, j’ai le démon de la référence ou démon de l’érudition parce qu’on écrit avec les influences, tout en essayant de ne pas faire de littérature uniquement savante mais bien en prise avec ce monde : « la tradition c’est la passation du feu, non la vénération des cendres » disait le compositeur Gustav Malher.
Chaque texte que nous parvenons à achever est à un combat contre ses démons, en tentant de les maîtriser. Un combat avec ses démons, en nous servant de leurs pouvoirs. Avec ou contre, mais jamais sans eux.
Parmi ses démons, l’un d’eux, qui a un pouvoir obscur de motivation et une puissance terrible de découragement, est le démon de la reconnaissance.
Comme les autres démons, il faut le connaître, lui donner parfois à manger, il faut souvent le garder à l’œil et même l’éloigner. Comme tous les autres démons, il faut qu’il se tienne tranquille et n’entrave pas notre besoin de création, car tout artiste ne doit s’occuper de rien d’autre que de suivre ses désirs pluriels de littérature.
En recevant cette Mention spéciale du très beau prix Wepler et de son jury 2014, je suis une auteur heureuse : mon démon va se tenir tranquille pendant un moment. Je suis heureuse pour mon texte, qui m’a amené là où je ne pensais pas aller, mais aussi la jeune collection Notabilia. Je suis heureuse d’être avec vous ce soir qui faites tant pour la littérature de qualité, avec vous pour partager à présent le démon du champagne et des petits-fours.