PRIX WEPLER - FONDATION LA POSTE 2012

la selection

  • Jakuta Alikavazovic, La blonde et le bunker, Éditions de l’Olivier

  • Oscar Coop-Phane, Zénith-Hôtel, Éditions Finitude

  • Jeanne Cordelier, Escalier F, Éditions Phébus

  • François Cusset, À l’abri du déclin du monde, Éditions P.O.L

  • Patrick Declerk, Démons me turlupinant, Éditions Gallimard

  • Leslie Kaplan, Millefeuille, Éditions P.O.L

  • Pauline Klein, Fermer l’œil de la nuit, Éditions Allia

  • Luc Lang, Mother, Éditions Stock

  • Emmanuelle Pireyre, Féerie générale, Éditions de l’Olivier

  • Dominique de Rivaz, Rose envy, Éditions Zoé

  • Anne Serre, Petite table sois mise !, Éditions Verdier

  • Éric Vuillard, Congo, Éditions Actes Sud

LE LAURÉAT

Leslie Kaplan - Millefeuille, Éditions P.O.L

LA MENTION SPÉCIALE

Jacuta Alikavazovic - La blonde et le bunker, Éditions de l’Olivier

Les Discours

Marie-Rose Guarnieri

Cela fait quinze ans que nous nous retrouvons  pour célébrer deux écrivains de plus  lors de ces rentrées littéraires  rituelles…
Vous déplacer  jusqu’à Montmartre, place Clichy, c’est bien sûr faire la fête mais c’est aussi sous le signe du renouveau des styles, des formes, des auteurs, des jurés, des éditeurs, des compétences  que nous voulons  hisser de vibrants flambeaux !
Montmartre a souvent été le foyer des avant-gardes, la terre des gens de l’en-dehors, des maudits, des obscurs,  des révoltés, des  gens sans poste, c’est le territoire de toutes les  libertés et de ce qui toujours est à recommencer !
De ce promontoire de la butte, des artistes ont éveillé nos consciences  et  débusqué  les conformismes institutionnels. D’ailleurs, notre maire de Paris, Bertrand Delanoë et notre maire du 18e, Daniel Vaillant, ne s’y sont pas trompés en nous soutenant, eux qui ont en charge  de veiller au rayonnement international de Paris. Leur présence indéfectible à nos côtés, d’année en année, a été pour nous une belle caution et un encouragement.
C’est pour lutter contre la lune trop blême des rentrées littéraires que nous posons un diadème sur la tête d’auteurs dont nous désirons mettre les œuvres sur orbite afin qu’elles resplendissent.
Mon ami Michel Bessière, qui nous ouvre sa fameuse brasserie et mobilise toute l’énergie de son équipe. Je ne le remercierai jamais assez de la droiture de son engagement, de sa confiance, de sa curiosité grandissante,  et de sons sens aveyronnais de l’amitié…
Je tiens à saluer tout particulièrement Mr. Jean-Paul Bailly, Président de la poste, qui nous a toujours honorés de sa présence éminente. Ainsi que Dominique Blanchecotte, présidente de la Fondation La Poste. Son amitié, sa clairvoyance, sa ténacité  nous sont très précieuses. Je n’oublie pas non plus le rôle essentiel de Marylin Girodias, qui pour ce prix a œuvré depuis le premier  jour dans l’ombre mais avec une sagacité sans failles. Et toute notre amitié également à la dernière venue dans la Fondation La poste : Patricia Huby.
Ce travail intense réquisitionne chaque année, dans notre arrière-boutique bouillonnante de débats, cinq très proches complices : Florence Robert, Elizabeth Joël, Damien Laval, David Houte et Caroline Loustalot.  Je les remercie du fond du cœur de leur affection qui me réconforte si souvent,  et aussi de  leur intelligence généreuse qui permet au Prix de perdurer.
Je ne dis qu’au-revoir au merveilleux jury de cette année et les remercie de leur sérieux, de leur acuité, de leur passion désintéressée  pour la littérature.
Je laisse la place maintenant à nos deux lauréats. Mes amis,  accordez  leur une liesse unique pour  que leurs œuvres  soient entendues et se déploient sans entraves. Je leur laisse la parole.  Rendez-vous l’année prochaine. Nous reformerons cette assemblée folle, hirsute, de femmes et d’hommes épris de littérature.

leslie kaplan

Chers amis,
je suis très heureuse d’être là aujourd’hui pour cette remise du Prix Wepler, et je veux d’abord remercier Marie Rose Guarniéri, la fondation La Poste et tous les membres du jury. Cela me fait particulièrement plaisir de recevoir un prix où est impliquée au premier chef une librairie indépendante…  Depuis que je publie j’ai toujours été soutenue par des libraires qui aiment la littérature, et là, depuis la rentrée de septembre, j’ai un peu sillonné la France de Niort à Bordeaux, et de Mantes à Tarbes et à Lourdes et à Cluny, et j’ai eu l’occasion de vérifier encore une fois à quel point les libraires sont des défenseurs du livre, engagés dans leur travail, leur mission, faire vivre la littérature, toute la littérature, et spécialement la littérature d’aujourd’hui. Ma pensée va aussi à mon éditeur, Paul Otchakovski-Laurens, avec qui j’ai une relation de travail et de confiance qui date de mon tout premier livre, et qui a depuis toujours une conception de la littérature où esthétique et éthique sont liées, fondées sur la recherche et la reconnaissance de ce que peut être une vérité singulière. Et je suis très contente que ce soit précisément ce livre, Millefeuille, qui soit primé. Pour moi la littérature a toujours été une affaire à la fois très sérieuse et très joyeuse, c’est à dire une affaire de pensée. Dans ce livre il s’agit justement d’un vieux professeur de littérature à la retraite, qui aime Shakespeare, qui écrit sur les Rois, un homme qui est devant la mort et qui se bat pour rester parmi les vivants. Pendant l’été il traverse une crise existentielle, et il se pose avec angoisse toutes sortes de questions, que tout le monde peut se poser, sur la filiation, la transmission, l’identité. Qui est-on quand on perd les attributs que la société vous a accordés ? Comment faire, avec ses enfants, avec des jeunes gens plus ou moins perdus que l’on peut rencontrer par hasard ? Qu’est-ce qui reste, quand on disparaît ?
Pour moi c’est un personnage très actuel, en plein dans les contradictions du monde dans lequel nous vivons, et qui est même emblématique du tragique contemporain. Les difficultés de la filiation, de la transmission, et même de l’identité, ne sont pas des questions seulement de maintenant, mais il me semble que le monde actuel, le relâchement des liens, la solitude, l’isolement, les rendent plus aigües.
Ecrire de la littérature est une façon de penser, c’est penser avec des mots, pas des concepts, pas des images, et les mots circulent toujours sur plusieurs plans, le conscient et l’inconscient, le son et le sens, ce qui se répète et ce qui change. Cette façon de penser s’attache au détail, refuse ce que j’ai appelé « la catégorie, la case, et le cas », le discours, le cliché, le consensus, la norme, avec tout ce que ce consensus, ce cliché, cette norme comporte de vide, de rappel à l’ordre, d’agressivité. La littérature tient toujours compte de l’inquiétude, et du caractère multi dimensionnel de l’expérience humaine, de toutes les contradictions, de tous les contraires, de toutes les couches du réel, de la folie possible, du meurtre, du vide, et elle cherche comment ne pas reconduire le monde tel qu’il est. Elle passe ailleurs, elle déplace. Comme l’a dit Rilke, elle « fait des choses avec l’angoisse ».  Ou comme l’a dit autrement Kafka, dans une phrase que j’ai souvent citée, « écrire, c’est sauter en dehors de la rangée des assassins ».
Le plaisir d’écrire, et le plaisir de lire, c’est le plaisir d’être éveillé, perdu, réveillé. La littérature est une façon de penser en tenant compte de sa sensibilité, elle veut ajouter un autre réel au réel du monde, un objet fini et pourtant infini, un livre en somme, toujours ouvert.

jakuta alikavazovic

Avant tout, je souhaiterais remercier la fondation La Poste, Michel Bessières, Marie-Rose Guarniéri et tout le jury du prix Wepler, que j’ai eu au téléphone dimanche soir, tard – personne n’a fait le moindre effort pour dissimuler son allégresse, et je les remercie de cela également.
Je voudrais bien sûr saluer mon éditeur Olivier Cohen et toute l’équipe de L’Olivier, avec une pensée (je n’ose dire mention) spéciale pour Laurence Renouf et son sixième sens en ce qui concerne mes textes.
Il faut me pardonner : j’avoue écrire peu de discours d’ordinaire – ce n’est pas un passe-temps habituel – en fait, c’est une première. On m’a dit que cette mention saluait l’audace, j’aurais celle des timides – c’est-à-dire la brièveté.
Je suis très émue de la distinction qui m’est accordée. Je savais déjà que, souvent, on dédie un livre à une personne en particulier, qu’on l’admette ou non – il me semble qu’il peut en aller de même des prix, et j’aimerais dédier celui-ci à l’un de mes personnages, John Volstead, qui est un fantôme redoutable puisqu’il apparaît dans trois de mes livres, le dernier en date étant La blonde et le bunker. Je lui dois un peu ce prix – d’autant que je l’achève à chaque fois. C’est un écrivain qui n’écrit pas, ou qui n’écrit plus, et qui n’en a d’ailleurs pas besoin puisqu’il continue à récolter les fruits d’un succès passé. Le fantasme ultime du romancier, disons.
Dans ma naïveté (et, sans doute, ma paresse), c’est l’écrivain que j’aspirais à être avant de commencer à écrire, et c’est l’écrivain qu’aujourd’hui, au contraire, je redouterais plus que tout de devenir. S’il meurt à chaque fois, c’est peut-être parce qu’en moi les livres veulent s’écrire.
La blonde et le bunker emprunte à différents genres : histoire d’amour, réflexion sur l’art, roman noir. Pour moi, c’est un livre à la fois mélancolique et joyeux, car combattif, vivant et qui résiste : disons qu’il négocie avec le désir de conservation, lequel n’est rien d’autre que l’intuition de la perte, et c’est évidemment cette perte que la fiction nous aide à déjouer.
Si l’on me pardonne une image un peu commune, un peu sentimentale – mais qui devrait parler à mes lecteurs présents et à venir – je dirais que les livres sont une sorte de Venise. Le reste – le monde, le temps qui passe – c’est l’eau. L’eau sans laquelle il est impossible de penser Venise, Venise sans laquelle l’eau, la mer telle qu’on la connaît, n’existerait probablement pas. Ecrire est parfois difficile ; parfois cela semble cliché, bêtement ou affreusement sentimental ; c’est parfois paralysant – que dire qui n’ait été dit ? Mais parfois, au contraire, cela paraît d’autant plus beau et honorable que fragile et menacé.  Nous – moi, avec votre soutien – nous travaillons à consolider notre position sur la lagune.

En 2012, pour célébrer de façon visuelle et vivante les 15 ans du prix Wepler - Fondation La Poste nous avons fait appel aux talents conjugués de Mathilde Salve et Alexandre Lazar de Takeo productions.
Nous avons ainsi pu laisser de manière impérissable, une trace sensible de cette aventure humaine et artistique que constitue un prix littéraire.

15 ans du prix wepler - fondation la poste

fermer l’œil de la nuit, pauline klein

congo, éric vuillarde

démons me turlupinant, patrick declerck

millefeuille, leslie kaplan

la blonde et le bunker, jakuta alikavazovic

zénith hôtel, oscar coop-phane

petite table, sois mise !, anne serre

rose envy, dominique de rivaz

mother, luc lang

féérie générale, emmanuelle pireyre

escalier f, jeanne cordelier

à l’abri du déclin du monde, françois cusset