PRIX WEPLER - FONDATION LA POSTE 2007

la selection

  • Nelly Arcan, À ciel ouvert, Éditions du Seuil

  • Maurice Audebert, Tombeau de Greta G., Éditions Actes Sud

  • Dominique Barbéris, Quelque chose à cacher, Éditions Gallimard

  • Louise Desbrusses, Couronnes boucliers armures, Éditions P.O.L

  • Hélène Frappat, L’agent de liaison, Éditions Allia

  • Philippe Garnier, Roman de plage, Éditions Denoël

  • Yannick Haenel, Cercle, Éditions Gallimard

  • Jérôme Lafargue, L’ami Butler, Quidam Éditeur

  • Linda Lê, In memoriam, Éditions Christian Bourgois

  • Marius Daniel Popescu, La symphoniedu loup, Éditions José Corti

  • Olivia Rosenthal, On n’est pas là pour disparaître, Éditions Verticales

  • Jacques Serena, Sous le néfier, Éditions de Minuit

  • Philippe Vasset, Un livre blanc, Éditions Fayard

LE LAURÉAT

Olivia Rosenthal - Millefeuille, Éditions P.O.L

LA MENTION SPÉCIALE

Louise Desbrusses - La blonde et le bunker, Éditions de l’Olivier

Les Discours

Marie-Rose Guarnieri

Chers lecteurs, ce livre inclassable n’est pas une énième compilation d’auteurs parmi d’autres, mais le fruit d’une aventure périlleuse en faveur d’une littérature qui prend des risques. A partir d’un quartier, Montmartre, riche d’histoire littéraire, et plus précisément à partir de la création de la librairie des Abbesses, j’ai senti que l’heure était venue de donner une impulsion neuve aux rentrées littéraires en fondant un Prix émanant d’une sphère différente, aux règles de fonctionnement dignes. J’ai voulu proposer un antidote à certaines pratiques et connivences, aujourd’hui mutilantes pour toute forme de création. C’est dans le deuil d’une certaine réalité sans surprise et sans le moindre défi que le désir est venu de redonner de la vie, du jeu et du sens à une action littéraire indépendante.

Le Prix Wepler-Fondation La Poste vise à offrir à des auteurs contemporains une renaissance dans une époque obstruée, souvent figée sur les mêmes valeurs.

Seule pour créer ma librairie, j’ai pris conscience d’une autre solitude, celle d’écrivains majeurs qu’il fallait faire apparaître davantage, soutenir plus fort encore et au-delà des quatre murs de ma librairie..

Chacun d’entre eux, vous les lirez, travaille avec une exigence qui les éloigne des conformismes de lecture dominants et je me devais d’inventer un mécénat particulier pour les faire durer et les mener à une consécration.

D’où, la Fondation de la Poste et son généreux mécénat financier et sa force de frappe pour diffuser largement le contenu de nos débats, d’où la célèbre brasserie littéraire du Wepler, reine de la Place Clichy où durant dix ans, inlassablement, devant 600 personnes, nous avons fêté des auteurs sélectionnés ou lauréats.

C’est l’irréductible énergie de la librairie des Abbesses, d’Elisabeth Joël et des amis, la détermination de Jean-Paul Bailly et Dominique Blanchecotte de la Fondation de la Poste, celle de Michel Bessière et sa brasserie Wepler, ainsi que la radicalité et le talent des auteurs que nous vous offrons.

Voici, juxtaposées dans ce livre, quelques proses singulières de ces auteurs qui, chacun à leur façon, ont répondu à la commande d’une « recette secrète » afin de rendre hommage au dix ans du Prix : à un moment important de leur parcours, ce dernier a très concrètement soutenu et défendu leur travail de création.

Chaque texte est un miroir de l’œuvre.

Chaque texte  incarne une voix d’auteur, interroge un possible de la littérature, met la langue à l’épreuve, sans tutelle aucune.

Avec juste ce recul de dix ans, je vous souhaite de conserver longtemps ce livre et d’aller à la rencontre de ces auteurs, de leurs œuvres, représentatives d’un certain moment littéraire de l’aube du 21 eme siècle.

Merci infiniment à Thierry Magnier, grâce à lui, cette aventure perdure et gagne en sens, et nous redonne de l’élan pour franchir un nouveau cap de dix ans avec plus de moyens et de retentissement encore.

A littérature libre, lecteurs affranchis…

OLIVIa ROSENTHal

Pour ne pas, c’est très simple. Il suffit de. On peut s’en tenir à. Il faut se. Mais pas trop toutefois. Sinon ça prêterait à. On pourrait être qualifié de. Si du moins on. Donc ne pas.

Ne pas. Se réjouir. Ne pas. Courir. S’élancer. Ne pas briser. Garder sa place. Son calme. Être furieux mais dans l’ordre. Ne pas. Faire de vague. Ne pas. Prendre le large. Ne pas. Rugir. Suffoquer. Ne pas attirer les regards. Ne pas bousculer. Ne se fier à personne. Sourire. Ne pas s’énerver. On pourrait être contraint de. Ne pas. Rester uniforme. Seul. Très. Lisse. Très. Dur. Très opaque. Impénétrable. Absent. Ne pas s’adonner à. Ne pas désirer. On pourrait vous le. Ne pas. Ne pas s’exposer. Être constant. D’une constance à toute épreuve. Et presque sans limite. Presque. Mais toutefois ne pas. Être poli. Ne pas. Donner prise. Ne pas. Penser. Parler. Éprouver. Ne pas posséder. Trop dangereux. Être non violent. Ne pas. S’éloigner Ne pas y croire. Ne pas. S’aventurer. Les autres en profiteraient pour. Ils s’accrocheraient à. Ils auraient raison de. Vous seriez foutu. Ne pas. Ne pas leur donner raison. Faire en sorte que. Ne pas. Être là. Ne pas. Demander. Ne pas. Dire je voudrais. Dire je souhaiterais. Dire je préfèrerais. Dire je pourrais. Ne pas préférer. Ne pas souhaiter. Ne pas vouloir. Ne pas pouvoir. Ne pas manquer. Ne pas avoir. Ne pas espérer. N’être pour rien. Pour personne. Pas même pour soi. Ne pas.

lOUISE DESBRUSSES

Ce serait la recette du velours d’amour. Une manière habile de faire parler de soi. Un truc sexuel tout en allusions mais chaud, brûlant. Une gelée de rose noire aux trois liqueurs qui ferait rougir les uns, mouiller les autres, bander ceux qui restent et qui rendrait service à la communauté en rappelant que le cuisinier doit concentrer son attention sur la vulnérabilité des ingrédients à une cuisson trop vive plutôt que sur le manche de la casserole.

Ce serait la recette des sœurs de Saint-Joseph. Vendeur ça aussi. L’art de fournir de la chair fraîche au prêtre âgé à la soutane rance en persuadant petits garçons et petites filles que l’enfer les menace s’ils ne vont pas à confesse. Dans les jours qui suivaient ces avaricieuses se montraient au goûter anormalement coulantes sur la distribution de barres de chocolat par le vieux curé. Pour leurs propres péchés elles se réservaient le jeune père espagnol, celui qui jouait de la guitare.
Ce serait la recette du scribe de Wall Street ou comment ne pas faire ses devoirs. Bien qu’ayant réussi à tout ignorer de Bartleby jusqu’à une époque récente je lui ai tôt rendu hommage. Ça a commencé vers 12 ans. En cours de Français. Il fallait s’exprimer, dire ce que l’on pensait. Plus indécent : l’écrire. J’aimais mieux pas. Il m’a paru cet automne que rien ne ressemblait plus à la rentrée scolaire que la rentrée littéraire : compétition, prix, récompenses, dictionnaires, exposés et, pour finir, devoirs à la maison.

Ce serait la recette sans pareille celle qui toujours s’invente jamais ne se répète, la recette du présent. Unique, éphémère, vivante. Recette pour. Recette pour tout. Pour oublier autant que se souvenir, partir autant que revenir, se réveiller autant que s’endormir. Recette pour aimer, désirer, rêver. Recette pour aussi, oui, souffrir. Parfois. Souvent. Ça dépend. Pour de son mieux en rire. S’il se peut guérir. Parfois mentir. Et un jour mourir. Recette pour en écrire quand même. Une. Qui n’existe pas.