sant jordi 2018

Préface du livre

Ces textes sont des miroirs, des autoportraits, des frères. Ce livre fondateur que ces éditeurs et éditrices nous content, sera, je l’espère la clef de voûte qui vous guidera vers les catalogues qui sont leurs oeuvres. Comme des artistes, ils ont édité des textes qu’ils ont voulu à tout prix posséder, allant même jusqu’à se marier avec eux en accolant leur nom…

Apparemment sans cohérence, leurs catalogues se sont enrichis. Avec le temps, un fil d’or est apparu.

Afin de parler de ce que les libraires doivent aux éditeurs et à leurs catalogues, j’emprunterai ce titre : « Grâce leur soit rendue », des mémoires du grand éditeur Maurice Nadeau. Il s’adressait aux écrivains de son merveilleux catalogue et aujourd’hui, au nom de tous les libraires, je l’adresse aux éditeurs, ces hommes et femmes de l’ombre qui ont ensorcelé notre pratique…

Ensemble, nous menons jour après jour une guerre du goût pour défendre la fragilité de textes enchanteurs qui déplacent les lignes.

Je les remercie de nous éloigner de nos parcours habituels. Chaque rentrée, surgissent des mains de ces magiciens des colombes insolites qui ébranlent les tables de nos librairies et nous font tout recommencer comme au premier jour. Leurs catalogues tapissent nos murs et forment en nous un velours intérieur somptueux qui déjoue les trompe-l’œil contemporains…

Les libraires sont des libertins, ils conjuguent à l’infini, comme des arc-en-ciel, l’ensemble de la production éditoriale et batifolent de livre en livre pour en offrir le suc aux lecteurs.

Nos librairies sont des temples ou ne s’oublie jamais l’histoire de ces catalogues. Cet incessant travail de mémoire s’inscrit dans notre vocation. André Shiffrin nous avait prédit que nous entrions dans l’ère de l’édition sans éditeurs…

Depuis vingt ans, naissent pourtant de toute part, et ce livre en est la révélation, de jeunes catalogues à la ligne cristalline. Fouineurs, innovants, audacieux, ils sont aussi très rigoureux et professionnels.

Partout en France, dans le même élan, de nouvelles librairies se sont créées. Des feux, des fraternités s’allument. Alors n’épousons pas les discours découragés qui nous incitent à rendre les armes. Continuons de dialoguer avec ces livres intérieurs qui emplissent nos existences de bravoures insoupçonnées. Notre société normative a beau parfois nous reléguer dans les marges, les mots des écrivains, si justes, si vrais, toujours nous embraseront.

Marie-Rose Guarnieri

Présidente de l’association Verbes

GRÂCE LEUR SOIT RENDUE

Je voudrais placer cette journée sous le signe de l’amour. Celui, inextinguible, tenace, flamboyant de l’homme pour le Livre. On a souvent qualifié les peuples sans terre de peuple du livre et j’aimerais vous faire connaître trente et un nomades (il y en a bien d’autres), qui, comme Moïse séparant les eaux de la mer morte, vous ouvriront un passage vers l’intranquille monde des éditeurs.

Qui sont ces hommes ou femmes-livres ? On peut les surprendre assis dans l’ombre d’un bureau qui res- semble parfois à une cellule de moine… Immobiles, solitaires, discordants, ils semblent tirer leur plaisir d’une autre substance et vivre dans une autre région que le commun des mortels.

Ces sécessionnistes, lors de mes débuts, ont été des mystères…

Décalés, attirants, ils m’apparaissaient comme des digues résistant aux séduisantes sirènes de notre temps. Avoir la chance d’être en contact avec eux, c’était faire l’apprentissage modeste et lent de ce qui les enfiévrait. Ce qui nous lie, écrivains, éditeurs et libraires, c’est une même rage, troublante, de lire. Tous, nous cherchons un territoire où nous puissions nous affranchir des contingences du réel, une contrée susceptible d’assouvir notre curiosité jamais sevrée, une latitude qui nous permette d’échapper à notre destin.

Il me semble que cette curiosité lancinante provient peut-être d’une blessure. Celle de n’avoir pu élucider, enfant, de nombreuses énigmes dont cette obscure genèse de la scène primitive qui nous a conçus. N’est-ce pas pour cette raison qu’à travers les livres, inlassablement, nous tentons de déchiffrer ce qu’il y a derrière les mots, derrière les phrases, captant l’inconnu ? Chaque nouveau livre est la promesse illusoire de retrouver un paradis perdu.

Notre époque s’ingénie à nous arracher à cette aventure-là. Peut-être deviendra-t-elle subversive tant le lecteur est un être clandestin, séparé, improductif. La lecture effectue un rapt de l’esprit qui explose les stéréotypes, les slogans politiques ou publicitaires, les banalités, la camelote ! Permettez-moi de vous faire entendre à travers ces trente et un récits d’éditeurs, ces trente et unes variations étoilées, une réalité peu explorée : le fol amour d’hommes ou de femmes épris du livre.

J’espère que vous percevrez la puissance de cet amour-là qui peuple notre solitude aussi intensément qu’un ami, qu’un amant, qu’un enfant…

Entre les lignes des textes qui vont suivre, vous découvrirez l’empreinte vivace que peut laisser en soi un livre.

cliquez sur l’image pour accéder au livre dans sa version intégrale !

L’épicentre du livre :

Comment faire ressentir aux jeunes générations confrontées à la dématérialisation de la lecture, cette vie incroyable, intense et silencieuse d’un homme avec un livre ?

Trente et un éditeurs contemporains, femmes-livres ou hommes-livres relèvent ce défi en offrant aux lecteurs : trente et un récits de leur corps-à-corps avec un livre pour eux fondateur, vital et souvent à l‘origine de leur vocation… L’homme-livre déjoue ainsi la sombre prédiction d’André Schiffrin prophétisant une Edition sans éditeurs. Il met en avant trente et une maisons d’édition ou collections contemporaines que les libraires adorent célébrer ou faire découvrir dans leur pratique.

Jérôme Bonnet, photographe est allé « débusquer » ces femmes-livres ou hommes- livres, souvent dans l’ombre. Il les a incarnés et mis en lumière en réalisant d’eux trente et un portraits photographiques intrigants…

Nous dédions ce livre à notre très regretté et incomparable Paul Otchakovsky-Laurens. Tous nos vœux pour la pérennité de son catalogue.