sant jordi 2022

Préfaces du livre

Nous espérons provoquer en vous une euphorie artistique, une chasse aux trésors et une méditation sur l’art du roman. D’écrivain en écrivain, il y a   comme un fil d’or avec lequel   vous pourrez construire votre propre voie lactée.

Afin d’enrichir la page qui leur est dédiée, nous leur avons aussi proposé de décrire ce qu’ils voyaient depuis leur fenêtre. Nous faisons ainsi référence au merveilleux livre intitulé Fenêtres de JB Pontalis mais aussi à Freud qui demandait à ses patients, lorsqu’ils s’allongeaient sur le divan, d’imaginer qu’ils étaient dans un train et de dire spontanément ce qu’ils percevaient par la fenêtre…

Cette page, qui est en quelque sorte leur auto-portrait d’auteur (nous vous mentionnons d’ailleurs leur dernier ouvrage paru), est enfin couronnée par la révélation de  la  citation qui aiguillonne le cœur de leur œuvre…

Grâce à leur plume, grâce à leur engagement, cet hymne à la littérature sera, nous l’espérons, une grenade dégoupillée pour la Fête de la librairie indépendante 2022 !

Nous désirons inaugurer une « vita nova » pleine d’émotion et de plaisir…

Dans ce monde devenu parfois indéchiffrable, saturé d’informations et binaire, nous souhaiterions, à travers le bruissement de la langue littéraire, favoriser une mue permettant d’échapper aux slogans, à tous les « ismes », aux clichés et aux mots usés… 

La littérature nous permet à nous, libraires, de survivre à l’épreuve de la perte, elle nous encourage à accueillir l’imprévisible et à apprivoiser un autre rapport au temps.  Elle n’est pas là pour produire ce que l’on attend mais pour nous affranchir.

Alors, chers lecteurs, que vive la littérature au centre de vos vies !

Embarquons à bord de cette caravelle intemporelle, laissez-vous guider à travers les cercles invisibles de notre histoire littéraire. Ensemble, comme devant un grand feu, faisons apparaître les illustres fantômes fondateurs du passé et ceux d’aujourd’hui aussi…

Ce capital culturel dont nous sommes si riches et dont nous avons fait la conquête acharnée, l’heure est venue de le dépenser sans compter afin de vous le transmettre.

Soyez les bienvenus à bord…

Marie-Rose Guarnieri

Présidente de l’association Verbes

Allez annoncer partout que l’homme n’a pas encore été capturé

Valère Novarina

Chers lecteurs,

C’est avec une certaine fièvre que nous mettons entre vos mains un livre qui contient cinq cent  livres…Il est d’autant plus précieux  que ces oeuvres  ont été distinguées par cinquante écrivains  prodigieux ! Depuis vingt-quatre ans, au mois d’avril, inlassablement les libraires indépendants se rassemblent dans le cadre de la journée mondiale du livre et du droit d’auteur. Aujourd’hui, il nous semble crucial de vous rapprocher de cette forge incandescente : les lectures  des auteurs. Celles qui les alimentent, les stimulent, les embrasent…

Nous aimerions ainsi rembourser la dette infinie contractée auprès des écrivains et leur rendre hommage.

Comme le disait le grand éditeur Maurice Nadeau : Grâces leur soient rendues.

Depuis longtemps, nous conversons avec eux en les lisant  et nous voudrions   vous révéler ce qu’ils nous ont légué :  ils  nous ont appris à lire, à ne pas  épouser notre époque, à court-circuiter nos représentations, à débusquer en  nous  certains stéréotypes, à ne pas être séduits par les trompe-l’oeil, bref à rentrer dans cette école  exigeante de l’ombre où l’on doit  distinguer l’art de  la camelote…

Quelle est la nécessité impérieuse de cet ouvrage ? Elargir votre champ de connaissance et   vous redonner faim de littérature…

La vocation d’écrire naît d’abord de la lecture…

Julien Gracq nous a mis sur la piste de ce projet en évoquant « un écrivain qui écrit en lisant et qui lit en écrivant »…

Le cadeau que nous vous offrons  cette année  vous invite donc à un véritable festin autour de leurs  livres fondateurs.  Comme vous le constaterez, chacun d’eux dévoile dans la page qui lui est consacrée dix livres de son panthéon littéraire : en  2-3 lignes,  ils vous dévoilent  ce qui les a subjugués dans ces chef-d’oeuvre.

De chaque liste, vous le verrez, découle une méthode de lecture éclairant leur art d’écrivain et ses pierres angulaires littéraires. L’évocation de leurs pairs ou de leurs doubles en littérature réveillera chez  vous, comme un printemps,  tous  vos   sens  en vous embarquant vers des contrées livresques inconnues  que vous n’auriez peut être pas osé aborder sans  leur lanterne…


Les mille chemins de la lecture

Pourquoi aimons-nous tant que les chanteurs se confient sur la musique qu’ils écoutent ? Et que les écrivains, comme dans ce très beau recueil publié à l’occasion de la Fête de la librairie indépendante, nous parlent des livres qu’ils lisent et qu’ils ont lus ? Le panthéon personnel des créateurs a toujours une saveur particulière. Et le plaisir que nous procure ce volume, conçu comme un carrefour aux mille chemins, en
est un nouveau témoignage, tant pour sa valeur de découverte que pour les confirmations qu’il nous apporte. C’est ici des femmes et des hommes écrivains qui guident amicalement nos pas. Mais ce n’est pas exactement une visite au musée. Car si chacun apprécie d’être accompagné dans la grande multiplicité
des œuvres de l’esprit (plus de huit cent mille livres disponibles en France !), pour savoir où poser d’abord son regard et mieux identifier les lignes de force, il se passe autre chose dans cette transmission-là.

Cette autre chose qu’André Malraux a magnifiquement désignée dans le dernier livre qu’il ait écrit, L’Homme précaire et la Littérature. L’idée que la littérature est, par nature, un rebond, une conversation d’œuvre à œuvre, d’auteur à auteur – et non pas seulement l’expression d’un lien particulier d’une personne avec les choses, avec le monde sous ses yeux ou tel qu’elle l’a vécu, et qui prend la forme d’un récit, d’un poème, d’une pièce en prose. Ce qui a pour conséquence que lorsqu’un écrivain nous parle de ses lectures, c’est de son œuvre aussi qu’il nous entretient, voire de la littérature en général.

On a le sentiment dès lors de participer un peu à cette conversation secrète, avec la même joie retenue que peut parfois nous procurer la lecture des grandes correspondances littéraires. Ce n’est pas là le plaisir d’être introduit dans les coulisses d’une grande scène, mais celui de prendre part au spectacle lui-même, d’y avoir notre place, de nous y retrouver : on n’écrit et on ne lit que dans la mesure où d’autres ont déjà lu et écrit. Cent ans après le décès de Marcel Proust, nous célébrons en2022 la lecture comme une grande cause nationale. L’auteur d’À la recherche du temps perdu était un formidable lecteur et il nous a donné, comme André Gide, Jacques Rivière, Albert Camus, Maurice Blanchot ou Philippe Jaccottet, quelques-uns des plus beaux écrits critiques du xxe siècle. Il faut rappeler ici sa vision, pour le moins iconoclaste, de la lecture, telle qu’elle s’exprime dans la magnifique préface qu’il avait placée en tête de sa traduction de Sésame et les Lys de John Ruskin

(« Sur la lecture », Mercure de France, 1906). Elle place le désir au centre de tout : ce désir vital d’entrer dans la « vie spirituelle » et ne plus vivre « à la surface dans un perpétuel oubli de [nous]-mêmes ». La lecture, nous dit Proust, est un seuil et non une ligne d’arrivée : une expérience esthétique, poétique, imaginaire qui vaut certes par elle-même, mais a surtout vocation à libérer de cette inertie, de ce confort mou qui laissent les hommes incurieux devant le monde. Nous sommes loin, très loin du temps de cerveau disponible ! Cette conception si personnelle de la lecture a un immense mérite : elle est extraordinairement mobilisatrice. Elle remet le lecteur au cœur des choses : « Notre sagesse commence où celle de l’auteur finit. » Sacré Proust !

Retenons sa bonne leçon ; et comprenons que ces dix livres si chers aux cinquante écrivains ici sollicités sont aussi ceux qui les ont décidés à aller plus avant, et à leur tour, dans la découverte de l’énigme du monde. Cette « intervention étrangère», comme la désignait Marcel Proust, leur a ouvert ou rouvert les portes du palais.

Voilà donc un livre comme on les aime : on y déambule en explorateur rêveur. Et avec quelle heureuse surprise découvre-t-on que deux femmes dominent ce florilège aux fausses allures de palmarès, Virginia Woolf et Marguerite Duras, suivies de… Marcel Proust et Fiodor Dostoïevski ! Enfin un relais mixte aux Jeux olympiques de la littérature ! Et peut-être une invitation à lire ou à relire Écrire de Marguerite Duras, ce très grand livre sur la littérature, qui s’ouvre sur une évocation des lieux de
l’écriture plutôt que des textes eux-mêmes. À qui lui demandera de parler de ses livres, elle parlera d’abord de sa maison et de son jardin. Quelle curieuse entrée en matière ! Mais n’y voyez rien de farfelu ou d’inopportun. Marcel Proust faisait la même chose lorsqu’il écrivait sur ses lectures d’enfance, dans sa préface à Ruskin. L’un et l’autre nous renvoient à une expérience de l’écriture qui va bien au-delà d’un agréable commerce de l’esprit : « J’ai compris que j’étais une personne seule avec mon écriture, seule très loin de tout. » Si loin de tout, et pourtant si près du cœur de ses nombreux lecteurs. Telle est l’énigme !

Que nos amis libraires, et bien sûr notre chère Marie-Rose Guarniéri de l’association Verbes, soient ici chaleureusement remerciés d’œuvrer chaque jour à la rencontre des auteurs et de leurs lecteurs, au service de l’inestimable diversité des littératures du monde.


Antoine Gallimard

Président des éditions Gallimard et du groupe Madrigall