sant jordi 2017

Préface du livre

LE CORPS DU LIVRE

Typographes, graphistes, illustrateurs, maquettistes, surgissez des coulisses car aujourd’hui, ce sont vos métiers de l’ombre que nous voulons honorer et mettre en lumière…

A vous, lecteurs, nous avons voulu offrir le récit épatant de la mise au point de tous ces savoirs faire.

Notre ambition est de vanter toutes ces signatures graphiques épousant avec une sobriété sacrée les textes des auteurs. Et de dévoiler la genèse épique du drapé d’un livre.
Que raconte une jaquette ?

Comment sommes-nous captés par ces graphies déroutantes, par ces images, par ces motifs, par ces logos si familiers qu’ils nous incitent parfois à les collectionner ? Comment déchiffrons-nous les Garamond, les Bodoni, les italiques, les capitales, les graves, les allongées, les filiformes, les écrasées ?

Cette fusion du fond et de la forme interpelle le lecteur et chemine en lui, nous ne savons pas toujours comment…

Aussi, nous avons mené une enquête avec les Editions Actes Sud pour élucider ces énigmes en commençant par un hommage nourri aux pionniers de ces métiers en France : Massin et Faucheux. Et en passant ensuite le relais à des éditeurs contemporains aux couvertures mémorables, voire cultes…. Actes sud pour son format allongé, précieux , inimitable et son catalogue du sud rayonnant, Allia pour ses livres  mettant à portée de main toutes les humanités, Bourgois et ses couvertures comme des œuvres d’art, 10/18 et ses deux chiffres, telle une énigme pour un grand détectives,  Minuit et sa blancheur étoilée, P.O.L et ce jeu sonore entre un prénom et une maison d’édition tracé dans les sillons d’un blanc côtelé, Gallimard avec son parfait filet rouge et noir estampillé de son logo éternel NRF, les Editions de l’Olivier enracinées sous leur arbre fertile, le Tripode aux jaquettes étonnamment renouvelées, Monsieur Toussaint Louverture enfin, l’épicurien  qui exalte tous les artisanats de l’édition.
Une jaquette, c’est le visage du livre, une apparence qui nous invite à aller au-delà…

Qu’est-ce qui pousse le lecteur à s’en emparer?

Est-ce le nom de l’auteur, un mot dans le titre, la typographie, la couleur, la matière du papier (mat, brillant), le logo, le format, la maison d’édition ou la collection ?

Qu’est-ce qui en France, par exemple, nous différencie dans ce domaine des espagnols, des anglais, des italiens ? Pourquoi les maisons d’édition française portent-elles souvent le nom de leur fondateur, de leur rue, ou d’un moment de l’histoire politique ? Pourquoi tant de blanc sur leurs couvertures ?

Nous avons rencontré ces éditeurs d’hier et d’aujourd’hui, ils nous ont entretenu de cet habit qui souvent « fait le moine. »

Ce livre est l’épopée de possédés du livre.

Parmi eux, les libraires…

C’est de leur corps-à-corps passionné avec les livres que j’aimerais vous parler maintenant.

Le libraire est dépositaire du corps des livres. Lorsqu’il en saisit un, tel un pêcheur, il ramène dans ses filets toute la mémoire frémissante d’un catalogue. Sa librairie est un territoire qui contient et héberge l’infini des textes. Tel un magicien, il compose une alliance lunaire entre les rêves d’un éditeur, la facture d’un ouvrage et les secousses cosmiques d’un auteur.

L’épicentre de notre vocation, c’est d’être possédé par le prodigieux virus de les acheter même s’ils sont couteux, même s’ils sont volumineux, même si nous ne les lirons pas tous….

Cette fringale de lecture et de curiosité inextinguible, tous azimuts, contamine les visiteurs qui entrent dans notre lieu. C’est  à travers ce feu que la librairie est attractive.

Un des stigmates du libraire, c’est bien son attachement viscéral à la substance des livres. Quand il en aime un tout particulièrement, il lui arrive parfois d’être déchiré lorsque quelqu’un lui achète… Mais notre métier, c’est aussi une grande consolation, celle de toujours retrouver celui qu’on aime en le « commandant »….

Notre passion a besoin d’incarnation, elle ne peut être tout à fait assouvie par un support dématérialisé.

Une immense bibliothèque, disait Borges, n’est-elle pas le paradis ? Notre exaltation, c’est  le démon de l’exhaustivité : classer les auteurs par sujets, par collection, par époque, par pays, par couleurs.

Oui, avouons-le, nous aimons  tout de l’objet, son papier, son odeur, la peau de sa jaquette, le noir de l’encre, la silhouette des lettres, bref sa compagnie.

En vivant parmi les livres, nous démultiplions nos vies… À dix heures, nous nous sauvons des prisons de Venise avec Casanova, à midi, nous marchons dans les montagnes de Sils Maria avec Friedrich Nietzsche, à quinze heures, nous partageons la solitude de Franz Kafka, à dix-huit heures, nous marchons dans Lhassa avec Alexandra David Neal, à minuit, nous reconstruisons sans cesse avec la mère de Marguerite Duras son barrage contre le pacifique…

Mais surtout, lorsque des écrivains chéris nous quittent, nous conjurons la mort en gardant près de nous, vivantes, leurs voix. En touchant leurs livres, nous avons la chance de ne pas les avoir tout à fait perdus.

Partout où nous sauvegarderons des librairies, demeureront des paradis retrouvés…

Marie-Rose Guarnieri

Présidente de l’association Verbes

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