sant jordi 2015

Préface du livre

Faut-il vous faire un dessin ?

Le livre que vous avez en mains est un improbable assemblage : un éphéméride unissant 365 œuvres de dessinateurs et presque autant de faits, gestes, pensées et citations provenant de la librairie indépendante. Les libraires ont bien voulu nous confier ce bouquet hétéroclite composé à partir de leur quotidien. Une véritable remontée de terrain, spontanée, oscillant entre rêve et réalité. A travers tous ces fragments, événements microscopiques, nous pouvons ainsi offrir aux lecteurs un début d’approche anthropologique de notre métier et les faire voyager de maison en maison….

Notre profession est un artisanat courageux, jusqu’au boutiste et sans cynisme.

Vous serez frappés, en lisant ces tablettes par sa grande vitalité et fraîcheur, à contre-courant du discours morbide ambiant.

Pour moi, elles sont la certitude de notre grand avenir encore ….

Ce livre, on peut le voir aussi comme une sorte d’arche de Noé lancée dans les flots tourmentés de notre époque.

C’est dans ce déluge-là que j’ai osé cet empaquetage hâtif et hasardeux.

Rien n’est de la même chair, du même ton, ni du même univers dans ce petit musée où se côtoient des gouaches, des lavis, des crayons, des encres, des stylos, des feutres, des fusains…et des mots de libraires.

Radieuses et vibrantes, ces pages vous feront dériver chaque jour de cette année vers l’inconnu…. et naviguer sans boussole, comme Ulysse, entre le monde des dessinateurs et celui des libraires.

Au cours du travail, s’est révélé ce qui nous réunissait : un tempérament commun de graine belliqueuse devant les assauts parfois tyranniques des évolutions technologiques modernes et les pulsions de rentabilité des exterminateurs économiques.

Les dessinateurs sont pour nous des modèles car ils incarnent radicalement cet esprit d’insoumission, vivent avec la partie la plus profonde d’eux-mêmes, la plus sauvage, la plus libre, la plus fantaisiste. Avec eux, on respire, on explore, on descend des fleuves, on touche des fantômes au fond de nous, on rit jaune, on trouve des questions sans réponse, on déambule, lentement.

Personne ne pourra les assassiner. Le dessin n’a peur de rien.

Ce sont des voyants, qui portent en eux les ravages et l’infinie douleur des exclus. Chez eux, j’aime ce mélange de ruine et de reste d’honneur.

Ils donnent sans compter aux puissances de la nuit.

C’est avec plaisir que je cite notre ami Frédéric Pajak : le dessin est  « la langue d’une autre réalité. Tout dessinateur est un anarchiste. Il obéit à la grâce, à l’instinct, au rêve, à la vie intérieure. Il noircit quand il faut colorier et colorie quand il faut noircir. »

Le jour où j’ai eu en mains le premier cahier dessiné publié par Frédéric Pajak et le jour où j’ai lu L’immense solitude, son livre déchirant sur Nietszche et Pavese, j’ai instantanément réenfiévré mon métier en le trempant dans la forge de tous ces dessinateurs que des monographies d’un perfectionnisme fascinant dévoilaient.

Saluons, depuis dix ans, la détermination désintéressée de Véra Michalski dans ce projet éditorial d’exception.

Tous ces dessinateurs, j’aimerais qu’ils soient pour les libraires et les lecteurs des guides hallucinés, tâtonnants, qui, toujours, nous incitent à repartir à l’assaut, ce soir, demain, plus tard…

Chers lecteurs, reconnectez-vous à vos existences « écarlates  » !

La vie vous attend, il n’y a qu’un « trait » à franchir pour que resurgissent du fond de vous-même les figures de l’Île de Pâques…

Lâchez les suiveurs, les besogneux, nous sommes malheureux devant nos I-phones intelligents…

Retrouver les dessinateurs, c’est cultiver avec eux leurs inquiétudes si fertiles.

Dans l’intimité de nos librairies, nous avons tous créé un petit royaume, un château où nous frémissons pour des valeurs qui nous dépassent.

Cette année, 450 libraires indépendants en France et Belgique francophone se sont rassemblés une fois de plus, forts des différences qui les unissent et de leurs parentés.

Dans vos villes, nous aimerions que nos lieux soient phosphorescents.

Ils le seront si vous les fréquentez…

Les multinationales vous capturent et vous livrent sans effort des livres à domicile.

Mais est-ce cela la vie ?

Dans une librairie, tous les sens sont en éveil. Nous tentons de vous déloger de ce que vous connaissez, de vous faire émigrer vers d’autres formes, d’autres auteurs, de vous déposséder !

Certains voudraient agenouiller notre métier dans le ressassement des meilleures ventes. Notre vocation n’est pas de bétonner l’établishement mais d’allumer des feux pour ceux que l’on étouffe dans les marges, de rattraper les fugitifs, de chercher les inconnus, ceux qui se cachent, les orphelins.

Je vous souhaite des librairies remplies d’une diaspora de joyaux….

Marie-Rose Guarnieri

Présidente de l’association Verbes

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