sant jordi 2012

Préface du livre

une saison en librairie

Le livre que nous souhaitons, cette année offrir aux lecteurs de la la main des libraires s’intitule Une saison en librairie

Nous mettons ce projet sous la bannière de Rimbaud et de ses saisons qui ont ouvert à la littérature tant d’Iliades infinies et d’odyssées perpétuelles…

Ce livre sera comme une rose des vents, une boussole nous réindiquant le chemin de la littérature. Une saison en librairie se propose, en effet, de suspendre le tempo totalitaire, disloquant et affolé de notre modernité en nous emmenant dans un autre espace temps : celui, intérieur, de la littérature.

Ce ne sera pas un livre-objet ni un gadget ni un livre gratuit.

Nous aimerions poser un acte de plus et redonner aux lecteurs la sensation de cette étrange sauvagerie et arrachement intime provoqués par le côtoiement des œuvres. Il y a celles qui se contentent de combler les lecteurs, et les autres, qui ouvrent les manques…

Nous partons donc de ce constat : si de nombreux lecteurs désertent, si certaines librairies périclitent, et si certains catalogues de l’édition de création souffrent, c’est que nous avons dénaturé l’idée même de littérature au profit d’une excessive explosion de produit culturels marketing. Ceux-ci ont tellement envahi tous les espaces qu’ils ont fini par ensevelir les écrivains et par épuiser ceux-là même qui les consommaient.

Ne se débarrasse-t-on pas trop souvent de l’art, aujourd’hui, dans ce qu’il a de difficile et de non identifiable par le marché ?

Il est urgent, selon nous, de remettre les auteurs au cœur des maisons d’édition et des projets. Car ce système, qui nous a enrichis facilement et divertis à court terme nous précipite dans un gouffre. Et pourtant ! Je l’affirme, chaque lecteur qui achète un livre a toujours l’espoir de sortir de ses sillons et d’être percuté par ce qu’il ne connaît pas…

C’est ainsi qu’à travers Une saison en librairie, nous allons proposer douze œuvres qui sont toujours dans les fonts baptismaux de la librairie.

Elles en constituent les murs porteurs.

Vous pouvez le vérifier, elles sont sur les étagères de toutes les librairies, perpétuellement lues…

C’est un mystère avec lequel nous travaillons chaque jour et l’on peut s’interroger : si elles sont à ce point captatrices, ce n’est pas dû au seul fait de leur appartenance à notre patrimoine ni à leur omniprésence dans les programmes scolaires. Simplement, il se trouve que tout au long d’une vie l’on éprouve le besoin de s’y référer et que de leur lecture notre être sans cesse s’accroît. Jamais ces œuvres-là ne tariront.

Elles transforment le présent en éternité et nous font aller toujours plus loin.

Elles échappent à leur temps, à leur pays, à leurs auteurs même.

Avec elles, le lecteur tisse un roman sous le roman.

Douze œuvres correspondant à chaque mois de l’année, comme un merveilleux bréviaire conviant les cinq sens des lecteurs à les voir, à les entendre, à les respirer, à les toucher, à les goûter de nouveau….

Douze œuvres pour aiguiser l’appétit envers ce qui s’Ecrit.

Douze œuvres pour retrouver le pli de rendez-vous illicites avec l’Art.

Ce sont ces livres-là que l’on appelle des livres de fond en librairie. Des livres « premiers », fondateurs.

Et pour nous, praticiens, c’est à partir d’eux que toujours, tout recommence. Forgeant quotidiennement notre oreille littéraire, ils nous permettent d’accueillir de nouvelles tonalités et nous donnent le la. Ils éduquent notre goût, nous inscrivent dans une filiation.

Notre livre aurait pu s’appeler aussi une année en librairie puisque, comme avec une lanterne magique, nous allons, de janvier à décembre, affilier une œuvre à un mois de l’année et tenter de déclencher chez le lecteur toute une série de jouissances visuelles, musicales, picturales, architecturales… En jouant de correspondances entre ces œuvres et les saisons, nous désirons ainsi atteindre au plus profond nos mémoires affectives et sensorielles.

Voici la liste de nos douze œuvres :

  • En attendant Godot, Beckett. Janvier.

  • Un barrage contre le pacifique, Marguerite Duras. Février.

  • La Peau de chagrin, Balzac. Mars.

  • L’Ecume des jours, Boris Vian. Avril.

  • Les Fleurs du mal, Baudelaire. Mai.

  • Le Rouge et le noir, Stendhal. Juin.

  • L’Etranger, Albert Camus. Juillet.

  • Un amour de Swann, Proust. Août.

  • Madame Bovary, Flaubert. Septembre.

  • Journal d’un voleur, Jean Genêt. Octobre.

  • Une Saison en enfer, Rimbaud. Novembre.

  • Voyage au bout de la nuit. Céline. Décembre.

(Nous n’avons pas choisi, cette fois, d’auteurs traduits, soucieux avant tout de mettre en valeur cette fameuse « langue étrangère » que représente un style d’écrivain.)

Le contenu du livre  est le suivant : douze extraits des œuvres ci-dessus, accompagnés de douze images nées de la trace intérieure laissée par le livre dans notre imaginaire.

Pour chaque œuvre, une couleur …

Après l’Eloge des cent papiers dont le succès nous a débordés (malgré les 20 000 exemplaires, nous n’avons pu satisfaire toutes les demandes), nous avons pris conscience de cette faim des lecteurs pour l’Histoire et la culture du Livre. Nous souhaitons prolonger notre geste à travers ce bel ouvrage et expliquer ce qu’est ce fond de librairie que défendent avec ténacité, dans toute la France et en Belgique, tant de vrais libraires…

En outre, dans ces villes et campagnes qui tendent à se massifier d’un point de vue économique et culturel, il est essentiel aussi pour nous de transmettre une certaine poétique de la littérature. Notre temps ne dérive-t-il pas dans un mouvement aberrant et inhumain ? Notre livre voudrait répandre sur tout le territoire un antidote. Tous les jours, en librairie, nous l’expérimentons ! Nous avons, me semble-t-il, atteint un pic incomparable de délitement de l’être… Voilà pourquoi, il est si important de faire ressentir combien la littérature peut être une étonnante « entreprise de santé » !

Marie-Rose Guarnieri

Présidente de l’association Verbes