sant jordi 2009

Préface du livre

EDITORIAL

Sans la librairie indépendante, l’aventure de XXI, cette revue que vous tenez entre les mains, serait restée lettre morte.

À l’origine, XXI était un projet de mensuel. Particulièrement coûteux à réaliser, il n’était viable qu’en s’appuyant sur « la bienfaisante publicité », comme l’appelait le fondateur du Monde. Les professionnels nous conseillaient de multiplier les rubriques aptes à attirer des annonceurs : pages d’indiscrétions, d’échos et de rumeurs, panels « en hausse » et « en baisse», critiques de films et de spectacles, sélection de high-tech, de voyages, de montres ou de voitures… En somme, nous avions le choix entre nous dénaturer ou nous saborder.

Au moment où nous baissions les bras, une idée s’est imposée. Pourquoi ne pas radicaliser notre projet ? Bâtir un sommaire plus copieux et plus ambitieux encore, adopter un rythme trimestriel et vendre ce journal en librairie, sans publicité… L’idée était un peu folle, car les revues sont presque toutes sorties du même moule. Face à ses consœurs austères, XXI détonnait avec ses reportages pleins de détails, d’histoires vécues, d’odeurs et de boue aux semelles, donnant une large place aux illustrations.

Heureusement, il existait les libraires.

Pas un ne ressemble à l’autre. Il y a des « petits libraires » dont on parle avec chaleur et les « grands libraires » qui imposent le respect. Il y a des grincheux et des généreux, des puits de sciences et des dilettantes, des lectrices qui ont l’œil absolu et des bourrus cachés derrière leur comptoir…

La librairie est un métier physique. Ouvrir des cartons, étiqueter, disposer sur des tables, « désherber » les rayonnages, empaqueter les cadeaux, renvoyer les invendus. Le rapport charnel avec l’objet fabrique des taiseux, qui se méfient des beaux parleurs et apprécient ceux qui retroussent leurs manches.

C’est aussi une école d’humilité. « Mes livres sont infiniment plus savants que moi et je leur suis reconnaissant de tolérer ma présence », a écrit Alberto Manguel. Vivre chaque jour au milieu de ces centaines, voir de dizaines de milliers d’amitiés latentes, de voyages possibles, d’imprécations silencieuses, de beauté en germe, de guides qui rendent la vie légère, rend plus humain, sans doute.

Les libraires savent bien que tout peut arriver, qu’il suffit d’un geste, un jour, une heure, pour qu’un livre rencontre un lecteur. Ils voient qu’un livre peut se vendre ici, juste à sa place, et s’enterrer là, dans un rayon qui n’est pas fait pour lui. Ils ont vécu des embrasements inattendus ou des échecs retentissants, déjouant tous les pronostics.

Aussi, le 17 janvier 2008, ils ont fait de belles piles de XXI, au bon endroit. Les ventes se sont envolées. Depuis dix-huit mois, le phénomène se répète à chaque sortie, porté par cette force inouïe des libraires indépendants. Bien sûr, des indépendants, il en existe aussi dans les chaînes, car c’est un état d’esprit et non la carte d’un club. Mais ils ne sont jamais mieux à leur place que dans un magasin qui ne ressemble à aucun autre, qui a son histoire, sa couleur, sa différence. Un lieu qui chérit la liberté.

Ce hors-série de XXI raconte des histoires de livres, ces drôles d’objets qui ont changé tant d’existences, qui ne se rechargent pas, ne tombent pas en panne, s’offrent et nous émeuvent. C’est notre hommage rendu aux libraires. Car c’est l’évidence : sans libraires indépendants, il n’y a pas d’éditeurs indépendants, ni de lecteurs libres.

Laurent Beccaria et Patrick de Saint-Exupéry